Nouveaux points à explorer :
- L’obscurcissement de l’œil, un phénomène qui affecte approximativement 10 millions d’individus globalement.
- Les instruments d’évaluation clinique actuels n’offrent pas la possibilité d’un diagnostic anticipé ou d’un suivi mesurable des maladies cornéennes : l’interprétation du résultat incombe au professionnel de santé.
- Maëlle Vilbert élabore une technique efficace d’analyse d’images pour pallier d’éventuelles erreurs d’interprétation.
- Les systèmes d’intelligence artificielle (IA), lorsqu’ils sont dûment entraînés, peuvent repérer des anomalies que l’œil humain ne discernera pas.
- L’emploi de l’IA pourrait permettre aux praticiens de détecter instantanément des conditions potentiellement pathologiques, garantissant ainsi un meilleur suivi médical des patients.
« Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il serait possible d’éviter 80 % des cas de cécité », déclare Maëlle Vilbert, doctorante à l’École polytechnique (IP Paris). Plus de 10 millions d’individus à travers le globe souffrent d’un handicap visuel causé par une diminution de la transparence de la cornée. Bien que moins courant que la cataracte (opacification du cristallin) et le glaucome (dû à une surpression intraoculaire), la baisse de transparence de la cornée demeure l’un des principaux facteurs de dégradation, et parfois même de perte totale, de la vue. L’œil représente l’un des organes les plus sophistiqués du corps humain. Pour un fonctionnement optimal et donc pour une vision nette, il se compose de nombreux composants qui doivent rester en bonne santé. Toutefois, avec le vieillissement, ces éléments se détériorent chez un grand nombre de personnes. De ce fait, bien que les origines de la cécité soient multiples, l’opacification de la cornée est l’un des facteurs majeurs. Cette lentille naturellement transparente, qui protège l’iris à l’avant de l’œil, laisse passer la lumière. Son opacification influence directement la vision d’un individu, un phénomène qui touche près de 10 millions de personnes à travers le monde.
La clé pour comprendre l’opacification réside dans la compréhension de la transparence
De nos jours, la greffe de cornée est la procédure de greffe la plus couramment pratiquée à travers le monde. Bien qu’elle reste essentielle pour traiter les stades avancés d’opacification cornéenne, il est préférable de prévenir cette condition dans son intégralité. En effet, en plus des risques associés à l’intervention chirurgicale, il existe une grave pénurie de greffons de cornée à l’échelle mondiale, avec en moyenne 1 donneur de cornée pour 70 besoins.
Selon Maëlle Vilbert, les outils cliniques actuels utilisés pour évaluer la transparence de la cornée restent essentiellement qualitatifs et dépendent de l’opérateur, ce qui ne permet ni un diagnostic précoce ni un suivi quantitatif des pathologies cornéennes. « Les professionnels de santé examinent visuellement les images de tomographie par cohérence optique (OCT) », explique le chercheur. « Il n’existe pas de méthode normalisée pour extraire les caractéristiques directement liées aux tissus, ce qui laisse place à la subjectivité du médecin. Si le problème n’est pas évident, il se peut qu’il ne soit pas détecté. »
« Pourtant, chaque image de cornée examinée est enregistrée par cette technique d’imagerie », explique Maëlle Vilbert. « Cela nous offre une vaste base de données. » Vilbert exploite ces données dans le cadre de sa thèse afin de développer une méthode d’analyse d’image permettant une mesure objective de la transparence de la cornée, afin d’éviter tout biais potentiel lors de l’interprétation des images.
Environ 10 millions de personnes à travers le globe sont affectées par la perte de transparence de l’œil, un phénomène connu sous le nom d’opacification
Le caractère unique du tissu transparent de la cornée peut être expliqué par sa structure. Le stroma, qui constitue 90 % de l’épaisseur de la cornée, est un tissu conjonctif composé de fines fibrilles de collagène disposées de manière ordonnée en lamelles stratifiées. Ces fibrilles présentent un diamètre et un espacement spécifiques qui entraînent des interférences destructives dans le tissu, sauf pour la transmission directe de la lumière. C’est cette organisation structurée qui confère à la cornée sa remarquable transparence, permettant uniquement au signal lumineux de passer à travers et de former des images sur la rétine.
Maëlle Vilbert explique : « Lorsqu’une onde lumineuse traverse un milieu, elle peut être transmise, absorbée ou diffusée. La cornée, quant à elle, n’absorbe pas la lumière, elle la transmet ou la diffuse. Cependant, lorsque les phénomènes de diffusion deviennent trop importants, la cornée perd sa transparence et devient opaque. C’est donc l’organisation ordonnée des fibrilles de collagène dans le stroma qui rend possible la transparence de la cornée. Si cette structure devient désorganisée, comme c’est le cas dans la sclère (la partie blanche de l’œil) où le diamètre des fibrilles de collagène n’est pas uniforme, la lumière ne peut plus être transmise directement à l’intérieur de l’œil. »
Elle ajoute : « L’opacification de la cornée peut être causée par un œdème cornéen, qui entraîne la formation de minuscules espaces aqueux entre les lamelles de collagène du stroma, communément appelés ‘lacs’, qui diffusent la lumière. »
Intégration de la physique et de l’IA pour une analyse plus précise et fiable
Maëlle Vilbert a entrepris un projet basé sur l’hypothèse d’un stroma cornéen homogène afin de caractériser la transparence de la cornée en utilisant des paramètres physiques. « Si l’environnement est hétérogène, cela peut entraîner des variations locales dans l’atténuation du signal OCT », explique Vilbert. « En établissant statistiquement la cohérence du stroma cornéen, nous pouvons quantifier sa transparence en utilisant un seul pourcentage de transmission de la lumière cohérente. L’objectif est de standardiser les méthodes d’analyse des images OCT, ce qui nous permet de différencier de manière fiable entre une cornée normale et une cornée pathologique à faible diffusion, qui est difficilement détectable avec les outils cliniques actuels. »
Cependant, les cornées présentant des opacités localisées ne peuvent pas être caractérisées par un seul paramètre de transparence. « Nous avons également adopté une approche de classification automatique des images cliniques pour détecter des inflammations cornéennes spécifiques, telles que la dystrophie de Fuchs ou les troubles cornéens post-chirurgie réfractive. Les modèles d’IA, lorsqu’ils sont correctement entraînés, peuvent identifier des problèmes qui échappent à l’observation humaine directe. »
« Parmi les différents paramètres utilisés pour former le modèle d’IA, un paramètre unique (« sigma ») atteint une précision de classification de 93 %, reflétant la profondeur de la zone enflammée. Les huit autres paramètres augmentent la précision de la classification à 97 %. Il est important de souligner que ces paramètres restent interprétables par les praticiens, ce qui est essentiel pour une acceptation positive de ces outils de diagnostic numériques. » Ainsi, les médecins pourraient utiliser cette IA pour détecter précocement certains symptômes, même lorsqu’ils ne sont pas visibles à l’œil nu, et assurer un suivi à long terme pour une meilleure prise en charge des patients.
Les méthodes développées par cette équipe viennent en complément du diagnostic traditionnel réalisé à l’aide de la lampe à fente et de l’OCT. La capacité d’évaluer avec précision la transparence de la cornée en utilisant un seul pourcentage permet une détection rapide de conditions potentiellement pathologiques. De plus, cette approche offre la possibilité d’un suivi quantitatif dans le temps. Ainsi, il serait possible d’intervenir précocement et d’éviter des traitements invasifs tels que la greffe de cornée.
« Lorsqu’ils sont entraînés de manière adéquate, les modèles d’IA ont la capacité de détecter des problèmes qui échappent à la perception humaine directe. »
« Nous sommes confrontés à un véritable défi avec cette technique d’analyse », explique Maëlle Vilbert, soulignant l’importance de relever ce défi compte tenu du vieillissement de la population et du fait que 80 % des cas de cécité sont évitables. Un diagnostic plus précis, à la fois au moment présent et à long terme, permettrait une prévention plus efficace et une meilleure prise en charge des patients. L’outil développé par la chercheuse et son équipe est convivial grâce à son automatisation. Ainsi, après une brève formation, même les non-experts peuvent accéder à un diagnostic de transparence cornéenne abordable.
Ces méthodes qui associent l’IA aux principes de la propagation de la lumière dans les tissus humains présentent un potentiel prometteur pour le développement d’outils de diagnostic clinique. Elles pourraient, par exemple, être appliquées au diagnostic et au suivi des cataractes, une condition qui représente plus de la moitié des déficiences visuelles dans le monde.
SOURCE : Polytechnique insights
Traduit de l’anglais