Crédit photo : Gizem Vural / La perception est la clé de la résilience.
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Apprendre à devenir résilient

Les événements ne sont pas traumatisants tant que nous ne les ressentons pas comme tels.

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Publié dans The New Yorker par Maria Konnikova

Norman Garmezy, psychologue du développement et clinicien à l’Université du Minnesota, a rencontré des milliers d’enfants au cours de ses quatre décennies de recherche. Mais un garçon a particulièrement retenu son attention. Il avait neuf ans, une mère alcoolique et un père absent. Son déjeuner était exactement le même au quotidien : deux tranches de pain sans rien. Personne ne pouvait lui préparer ses repas et il n’y avait aucune autre nourriture à la maison. Garmezy se souvient que le garçon s’assurait à ce que personne n’ait pitié de lui et que personne ne soit au courant de l’inaptitude de sa mère. Chaque jour, il entre en classe, le sourire aux lèvres et ses deux tranches de pains dissimulés dans son sac.

Crédit photo : Pexels/Kampus Production
La résilience est un ensemble de compétences qui peuvent être enseignées.

Un défi pour les psychologues

Le garçon en question fait partie d’un groupe « spécial » d’enfants, les premiers d’une longue série, que Garmezy identifiera plus tard comme résilients, malgré les circonstances incroyablement difficiles qu’ils vivent. Pendant de nombreuses années, Garmezy a visité des écoles à travers le pays, en se concentrant sur les zones économiquement défavorisées, et a suivi un protocole standard. Organisant des réunions avec le directeur, le travailleur social ou l’infirmière de l’école, il pose la même question : y a-t-il des enfants dont les antécédents soulevent des signaux d’alarme, des enfants susceptibles de devenir des enfants à problèmes, mais qui, aussi étonnant que cela puisse être, sont devenus une source de fierté ?

Crédit photo : Pexels/Anna Baranova
Surmontez-vous les problèmes ou les esquivez-vous?

Garmezy pose la même question adressée aux responsables de chaque établissement. « Pouvez-vous identifier les enfants stressés qui réussissent dans votre école ? ». Un long silence se fait entendre avant qu’une réponse ne parvienne à ses oreilles. La résilience représente un défi pour les psychologues. Que l’on puisse dire que vous l’êtes ou non dépend en grande partie, non pas d’un test psychologique particulier, mais de la façon dont votre vie se déroule. Si vous avez la chance de ne jamais vivre dans l’adversité, nous ne saurons pas à quel point vous êtes résilients. Ce n’est que lorsque vous êtes confrontés à des obstacles, au stress et à d’autres menaces environnementales que la résilience, ou son absence, émerge : Surmontez-vous les problèmes ou les esquivez-vous ?

Considérez-vous un événement comme traumatisant ou bien une occasion d’apprendre et de grandir ?

Les menaces environnementales peuvent prendre diverses formes. Certaines sont le résultat d’un faible statut socio-économique et de conditions de vie difficiles. Souvent, de telles menaces, parents ayant des problèmes psychologiques ; l’exposition à la violence ou à de mauvais traitements; être un enfant d’un divorce problématique, sont chroniques. D’autres menaces sont aiguës : vivre ou être témoin d’un événement violent et traumatisant, par exemple, ou être impliqué dans un accident. Ce qui compte, c’est l’intensité et la durée du facteur de stress. Dans le cas des facteurs de stress aigus, l’intensité est généralement élevée. Le stress résultant de l’adversité répétitive, selon Garmezy, pourrait être plus faible, mais il impacte le sujet de manière cumulative, et cela persiste pendant de nombreux mois et généralement beaucoup plus longtemps.

La recherche de Garmezy a ouvert la porte à l’étude des facteurs de protection: les éléments des antécédents ou de la personnalité d’un individu qui peuvent permettre de réussir malgré les défis auxquels ils sont confrontés. Garmezy s’est retiré de la recherche avant de tirer des conclusions définitives, malheureusement sa carrière a été interrompue par l’apparition précoce de la maladie d’Alzheimer, mais son équipe et ses étudiants ont pu identifier deux groupes : les facteurs individuels et psychologiques d’une part et les facteurs externes et environnementaux d’autre part.

En 1989, une psychologue du développement nommée Emmy Werner a publié les résultats d’un projet sur une durée de 32 ans. Elle a suivi un groupe de 698 enfants à Kauai, (Hawaii) depuis avant la naissance jusqu’à leur trentaine d’années. Pendant la période en question, elle a surveillé toute exposition au stress : stress maternel in utero, pauvreté, problèmes familiaux, etc… Les deux tiers des enfants venaient de milieux essentiellement stables tandis que l’autre tiers était qualifié de « à risque ». Comme Garmezy, elle a vite découvert que tous les enfants à risque ne réagissaient pas au stress de la même manière. Les deux tiers d’entre eux ont développé de graves problèmes d’apprentissage ou de comportement à l’âge de dix ans, ou avaient des problèmes de délinquance, de santé mentale ou des grossesses précoces à l’âge de 18 ans. Mais le tiers restant est devenu de jeunes adultes compétents et confiants. Ils ont réussi leur scolarité et leur vie sociale et ils ne rataient aucune occasion pour s’investir quand de nouvelles opportunités se présentaient.

Crédit photo : Pexels/Ann H
Chaque événement effrayant, aussi négatif soit-il, a le potentiel d’être traumatisant ou non pour la personne qui le vit.

Qu’est-ce qui distingue les enfants résilients ? Parce que les individus de son étude ont été suivis et testés de manière cohérente pendant trois décennies, Werner avait une mine de données à sa disposition. Plusieurs éléments prédisaient la résilience. Dès leur plus jeune âge, les enfants résilients ont tendance à découvrir le monde comme ils l’entendaient. Autonomes et indépendants, ils recherchent de nouvelles expériences et ont une « orientation sociale positive, bien qu’ils ne soient pas particulièrement doués, ces enfants utilisaient efficacement toutes les compétences qu’ils avaient à leur disposition », indique Werner. Peut-être plus important encore, les enfants résilients avaient ce que les psychologues appellent un « locus de contrôle interne » : ils pensent que leurs réalisations sont le résultat de leur propre capacité et non des circonstances. Les enfants résilients se considèrent comme ceux qui orchestrent leur propre destin. En fait, sur une échelle qui mesure le locus de contrôle, ils ont obtenu plus de deux écarts-types par rapport au groupe de « normalisés ».

Comment la résilience peut-elle être apprise ?

Werner a également découvert que la résilience pouvait changer avec le temps. Certains enfants résilients sont particulièrement malchanceux : ils ont connu de multiples facteurs de stress importants au point que leur résilience a disparu. La résilience, a-t-elle expliqué, est comme un calcul constant : quel côté de l’équation pèse le plus, la résilience ou les facteurs de stress ? Les facteurs de stress peuvent devenir si intenses que la résilience est submergée. D’un autre côté, certaines personnes qui n’étaient pas résilientes dans leur jeune âge apprennent au fil du temps la résilience, d’une manière ou d’une autre. Elles ont été capables de surmonter l’adversité plus tard dans la vie et ont continué à s’épanouir autant que ceux qui avaient été résilients tout au long du processus.

George Bonanno, psychologue clinicien au Teachers College de l’Université Columbia, dirige le Loss, Trauma, and Emotion Lab et étudie la résilience depuis près de 25 ans. Garmezy, Werner et d’autres ont montré que certaines personnes sont bien meilleures que d’autres pour faire face à l’adversité, Bonanno lui, a essayé de comprendre d’où pourrait venir cette variation. La théorie de la résilience de Bonanno part d’un constat que nous possédons tous le même système fondamental de réponse au stress, qui a évolué au cours de millions d’années et que nous partageons avec d’autres animaux. La grande majorité des gens utilisent assez bien ce système pour gérer le stress. En ce qui concerne la résilience, la question est la suivante : pourquoi certaines personnes utilisent-elles le système beaucoup plus fréquemment ou efficacement que d’autres ?

L’un des éléments principaux de la résilience, découvert par Bonanno, est la perception suivante: Considérez-vous un événement comme traumatisant ou comme une occasion d’apprendre et de grandir ? « Les événements ne sont pas traumatisants tant que nous ne les ressentons pas comme traumatisants ». Il a inventé un terme différent : PTE, ou événement potentiellement traumatique, qui, selon lui, est plus précis. La théorie est simple. Chaque événement effrayant, aussi négatif soit-il, a le potentiel d’être traumatisant ou non pour la personne qui le vit. Prenez un événement tragique d’aussi terrible que la mort soudaine d’un ami proche : vous pourriez être triste, mais si vous pouvez trouver un moyen d’interpréter cet événement comme rempli de sens, peut-être qu’il conduit à une plus grande prise de conscience d’une certaine maladie, par exemple, alors cela peut ne pas être considéré comme un traumatisme. En effet, Werner a constaté que les personnes résilientes étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer avoir des sources de soutien spirituel et religieux que celles qui ne le sont pas.

C’est pour cette raison que les événements « stressants » ou « traumatisants » en eux-mêmes n’ont pas beaucoup de pouvoir prédictif. En d’autres termes, vivre dans l’adversité ne garantit pas que vous souffrirez à l’avenir. Ce qui importe, c’est de savoir si cette adversité devient traumatisante.

La bonne nouvelle est que l’interprétation positive peut être enseignée. « Nous pouvons nous rendre plus ou moins vulnérables par la façon dont nous interprétons les choses », a déclaré Bonanno. Dans une recherche à Columbia, le neuroscientifique Kevin Ochsner a montré qu’enseigner aux gens à penser aux stimuli de différentes manières, pour les recadrer positivement, change la façon dont ils ressentent et réagissent au stimulus. Vous pouvez former les gens à mieux réguler leurs émotions, et la formation semble avoir des effets durables.

D’après les recherches de Martin Seligman, le psychologue de l’Université de Pennsylvanie qui a été le pionnier d’une grande partie du domaine de la psychologie positive : former les gens à changer leurs interprétations interne vers externe (Les mauvais événements ne sont pas de ma faute), de global à spécifique (Cet événement m’indique que quelque chose ne va pas dans ma vie), et de permanent à non permanent (Je peux changer la situation, plutôt que de supposer qu’elle est acquise) les a rendus plus fort psychologiquement et moins enclins à la dépression. Il en va de même pour le locus de contrôle: non seulement un locus plus interne est lié à la perception de moins de stress et à une meilleure performance, mais le changement de locus externe à interne entraîne des changements positifs à la fois dans le bien-être psychologique et la performance objective au travail. Les compétences cognitives qui soutiennent la résilience semblent donc pouvoir être apprises au fil du temps, créant une résilience là où il n’y en avait pas.

L’inverse peut également être vrai

« Nous pouvons devenir moins résilients, ou moins susceptibles d’être résilients. Nous pouvons créer ou exagérer des facteurs de stress très facilement dans notre propre esprit. C’est le danger de la condition humaine. », dit Bonanno. Considérez l’adversité comme un défi, et vous deviendrez plus flexible et capable d’y faire face, d’aller de l’avant, d’en tirer des leçons et de grandir. Concentrez-vous dessus, présentez-la comme une menace. Un événement potentiellement traumatisant devient un problème persistant. Vous devenez plus susceptible d’être affectés négativement.

En décembre, le New York Times Magazine a publié un essai intitulé « The Profound Emptiness of Resilience ». Il a souligné que le mot est maintenant utilisé partout, souvent d’une manière qui le vide de sens et le relie à de vague concepts. Des décennies de recherche révèlent beaucoup de choses sur son fonctionnement. Cette recherche montre que la résilience est, en fin de compte, un ensemble de compétences qui peuvent être enseignées. Il est temps que nous investissions le temps et l’énergie nécessaires pour comprendre ce que signifie vraiment la « résilience ».

SOURCE : The New Yorker
Traduit de l’anglais

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